Liberation

22 juillet 2002

Ces entreprises qui se refont un nom

Salies par des scandales financiers, elles se rebaptisent.

Les secousses qui agitent le monde de la finance depuis l'affaire Enron suscitent un effet de bord cocasse : la course au changement de nom, manière de se débarrasser de réputations sulfureuses quand on désire continuer à faire du business. C'est le cas d'Enron, en pleine procédure de faillite, qui se cherche une enseigne moins infamante pour relancer la firme. Même topo pour tous les grands cabinets d'audit et de conseil, mouillés dans des affaires de trucages de comptes et engagés dans un ravalement de façade général. Deloitte Consulting a annoncé jeudi dernier qu'il fallait désormais l'appeler Braxton. La branche conseil de PricewaterhouseCoopers a opté pour Monday en juin dernier. «C'est un phénomène massif qui prouve qu'il y a urgence», estime Pierre-Louis Desprez, de la société de conseil en marques Kaos.

Passe-passe. Chez Enron, on justifie la quête d'une nouvelle dénomination par la nécessité de repartir de zéro une fois la mise en faillite terminée. «Il s'agira d'une nouvelle entreprise, avec un nouveau conseil d'administration, et donc un nouveau nom», explique une porte-parole de la firme. La société a commencé à consulter en interne pour trouver un nom à ce successeur d'Enron, qui ne devrait reprendre qu'une partie des activités de l'ancien. Un tour de passe-passe obligatoire à l'heure où «enronite» est devenu le nom commun qui évoque la maladie frappant les entreprises : le trucage de comptes et les détournements financiers. «La solution n'est pas géniale, mais il n'y en a pas d'autre», estime Marcel Botton, le patron de Nomen, société de conseil en marques. «Quand vous voulez conclure un accord commercial et que vous vous appelez Enron, vous êtes cuits.»

Pour les cabinets de conseil, l'urgence est de se démarquer au plus vite de leurs branches d'audit et de comptabilité, souvent plombées par des procédures judiciaires liées au trucage supposé de comptes. «Ils veulent donner des preuves tangibles que l'activité de conseil est séparée de celle d'audit», explique Steve Manning, de A Hundred Monkeys [now Managing Director of Igor International], une firme américaine spécialisée dans le conseil aux marques. Car les conflits d'intérêt sont au coeur du scandale Enron et des affaires révélées dans la foulée, de Xerox à WorldCom. Les grands cabinets sont accusés d'avoir à la fois «gardé le poulailler» (vérifié les comptes des entreprises) et «mangé les poules» (conseillé les firmes sur leur stratégie financière), selon l'expression de Jay Jurisich, de A Hundred Monkeys [now Creative Director of Igor International].

Ainsi Deloitte Consulting devient Braxton afin de souligner sa séparation en cours de la branche d'audit Deloitte Touche, sous le coup d'une enquête de la SEC, le gendarme américain de la Bourse, pour le traficotage des comptes du câblo-opérateur Adelphia. En cas de scandale d'ampleur, on se doute que les consultants de l'ex-Deloitte Consulting seront plus à l'aise avec des cartes de visite siglées Braxton... Tout comme ceux de PricewaterhouseCoopers Consulting avec le nouveau nom Monday, qui permet de faire oublier les soucis de la branche audit PricewaterhouseCoopers dans les déboires de Swissair.

Notoriété. Pour KPMG, la volonté de se refaire une virginité est plus récente. Le cabinet avait entamé la séparation de ses activités d'audit et de conseil avant même l'affaire Enron. Là où une seule société existait, sont apparues en février 2001 deux entités distinctes : KPMG LLP pour l'audit, et KPMG Consulting pour le conseil. A l'époque, pas question de changer de nom, «nous partagerons toujours le nom KPMG et les valeurs héritées de cent ans de succès», indique alors un communiqué de l'entreprise. En fait, KPMG Consulting dispose de cinq ans pour trouver un nouveau nom. Mais la société n'est pas pressée, car, comme le dit Marcel Botton, «en changeant de nom, on perd toute la notoriété. Et cela peut avoisiner 150 millions d'euros pour construire une nouvelle marque». Ces derniers jours, le turbo est mis : une société spécialisée a été mandatée le 11 juillet afin de trouver un nouveau nom «aussi vite que possible», précise le porte-parole John Schneidawind. Et ce, alors que KPMG est soupçonné par la SEC d'avoir aidé Xerox à maquiller ses comptes.

Pari. Ce coup de Ripolin suffira-t-il à faire oublier les scandales à répétition ? «Ces changements de nom ne serviront à rien si l'on ne change pas les pratiques», estime Pierre-Louis Desprez, de Kaos. Même doute pour Muriel Bessis, du cabinet de création de marques Bessis : «Changer de nom dans des moments pareils, c'est un peu se foutre de la gueule du monde, dit-elle. Et accréditer la perte de crédibilité de la société.» Enron et les autres jouent gros dans cette opération. Peut-être devraient-ils méditer les aventures de la Générale des eaux, renommée Vivendi par Jean-Marie Messier pour gommer les scandales attachés au nom du distributeur d'eau. Après le crash récent de la stratégie Messier, voilà que Vivendi Environnement envisage de se trouver un nouveau nom.


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